Ce genre de confrontation s'est forgé sur un héritage commun et une rivalité implacable. Dans le rugby, chaque match comporte son lot d'importance, mais lorsqu'il s'agit d'Angleterre contre Afrique du Sud, l'enjeu prend une toute autre dimension. Ces rencontres sont marquées par des décennies d'affrontements épiques, tant sur le terrain qu'en dehors, ponctués de déclarations cinglantes et de gestes symboliques. Pour deux nations qui ont construit leur réputation en alignant des équipes parmi les plus puissantes et physiques que le rugby ait connues, ces duels vont bien au-delà des simples tactiques ou de la technique.
Après une victoire maîtrisée face à l'Écosse dimanche, les Springboks ont repris la place de numéro un mondial, un statut auquel ils sont habitués. De l'autre côté, l'Angleterre, qui a déçu en s'inclinant contre l'Australie le week-end dernier, aspire à retrouver ce sommet. C'est une quête qui remonte à leur triomphe lors de la demi-finale de la Coupe du monde face aux Boks il y a cinq ans.
Leur histoire commune est tortueuse, un récit qui se densifie au fil des années. Lors de la finale de la Coupe du monde de rugby 2019 à Yokohama, l’Angleterre a vu ses espoirs de sacre balayés par une équipe sud-africaine impitoyable, dominatrice dans chaque affrontement physique. La défense de fer des Springboks, couplée à une emprise totale sur la possession, a asphyxié les ambitions des hommes en blanc, ne leur laissant aucun espace pour respirer. Mais ce n’était pas juste une défaite ponctuelle, c'était un chapitre marquant d'une rivalité intense qui remonte aux années 2000 et bien au-delà.
Pour ces deux nations fières, ce moment fut une claque, un défi lancé sur le long terme. Désormais, l'Angleterre se retrouve face à une nouvelle échéance, et cette fois, il ne s'agit pas seulement de tourner la page, mais de répondre avec force. Pour le XV de la Rose, il s’agit autant de rétablir son honneur que de se venger d’une blessure encore vive.
Les enjeux de ce choc vont bien au-delà du terrain : c’est aussi une bataille psychologique entre deux stratèges aux styles opposés. D’un côté, Steve Borthwick, sélectionneur de l'Angleterre, qui tente de redresser la barre après des défaites amères face aux Springboks, notamment cette demi-finale perdue de la Coupe du monde 2023. De l’autre, Rassie Erasmus, le technicien sud-africain à la réputation controversée, oscillant entre génie tactique et provocateur aguerri.
Erasmus, fidèle à sa réputation, n’a pas hésité à envoyer des piques dans les médias, insinuant que l’Angleterre pourrait être à bout de souffle et au bord du « désespoir ». Ses déclarations, à la fois calculées et percutantes, sont bien plus qu’une simple guerre de mots : elles font partie de son arsenal pour saper la confiance de ses adversaires. Erasmus sait comment déstabiliser psychologiquement avant même le coup d’envoi, et c’est un domaine où il excelle avec la précision d’un sniper.
Ce duel s’inscrit dans un contexte historique chargé, où chaque confrontation ravive des rivalités vieilles de plus d’un siècle, remontant à leur première rencontre en 1906 à Crystal Palace. Si les années ont vu ces deux nations s’affronter dans des matchs d'une rare intensité, certaines confrontations ont marqué des tournants décisifs. Cette fois encore, l’issue de ce match pourrait écrire une nouvelle page d'une histoire teintée de respect, de défi, mais surtout d’une rivalité féroce.
Au début des années 2000, l'Angleterre semblait intouchable, enchaînant six victoires consécutives face aux Springboks. Cette série triomphale culmina par une victoire éclatante 32-16 à Twickenham en 2004. Pour les Sud-Africains, ce fut un véritable point de rupture. Humiliés, ils se lancèrent dans une profonde reconstruction qui porta ses fruits, culminant avec leur sacre en Coupe du monde 2007.
L'un des moments les plus marquants de cette période fut le fameux affrontement de 2002 entre Martin Johnson, alors capitaine emblématique de l'Angleterre, et le Sud-Africain Corne Krige. Ce duel âpre, symbole d’une rivalité féroce, annonçait le début d’une guerre d’intimidation autant sur le terrain que dans les médias. Krige, visiblement frustré par la domination anglaise, aurait qualifié Johnson de « l'un des capitaines les plus pourris du rugby mondial ». Fidèle à son caractère impassible, Johnson se moqua des accusations de Krige, notamment sur l'arrogance anglaise, solidifiant ainsi sa réputation de leader inflexible.
Cependant, si cette époque représentait l’apogée du rugby anglais, le retour de balancier était inévitable.
L’équipe sud-africaine de 2024 a clairement changé de visage. Sous la direction d’Erasmus, elle allie athlétisme et discipline, avec des phases offensives brutales qui privilégient la puissance brute plutôt que la finesse. Leur jeu est implacable, lentement mais sûrement, jusqu’à faire craquer l’adversaire. Les Boks ont aussi adopté le « Tonyball », le style offensif imposé par leur nouveau coach de l’attaque, Tony Brown, ancien demi d’ouverture des All Blacks. C’est un jeu où l’adversaire est constamment sous pression, déséquilibré, attendant le prochain coup de marteau qui pourra faire basculer la rencontre.
Et l'Angleterre ? Après des performances récentes qui n'inspirent pas une confiance totale, Borthwick a cependant trouvé un atout avec Marcus Smith, un joueur clé qui porte en lui un lien spécial avec l'Afrique du Sud, grâce à son ancien coach aux Harlequins, Jerry Flannery. L'ironie de cette connexion est que l’étoile montante des Anglais se retrouve face à un mentor devenu ennemi. De l’autre côté, Freddie Steward, avec sa capacité à dominer sur les ballons hauts, représente l'un des rares espoirs pour l'Angleterre de perturber la défense redoutable des Springboks.
À Twickenham, désormais baptisé Allianz Stadium, la tension sera palpable. Ce lieu chargé d'histoire risque de faire sentir aux joueurs que les fantômes des affrontements passés les observent depuis les tribunes. Un match bien plus qu'une simple rencontre : une occasion de remettre les pendules à l'heure.
Dans l'univers du rugby, ces rencontres sont bien plus que de simples matchs : elles deviennent des moments uniques, analysés sous tous les angles pour leurs dimensions stratégiques et psychologiques. Pour l'Afrique du Sud, il s'agit de confirmer sa suprématie et de rappeler à l'Angleterre que ses gloires passées sont derrière elle. Pour l'Angleterre, l'enjeu est de reconquérir le terrain perdu, de défendre son honneur face à un adversaire qui a souvent semé le trouble.
Récemment, un journaliste anglais a évoqué la possibilité d'une réalité alternative où les rôles des deux nations auraient été inversés, un passé où l'Afrique du Sud aurait échoué et l'Angleterre aurait prospéré. Mais ce n'est pas ce qui se passe aujourd'hui. Samedi, l'Allianz Stadium sera le théâtre d'un nouveau chapitre de cette rivalité.
L'Angleterre réussira-t-elle à provoquer un choc retentissant ou l'Afrique du Sud continuera-t-elle sa marche implacable, écrasant tout sur son passage ? Si vous avez le moindre doute, ne détournez surtout pas le regard ce samedi.
Angleterre vs. Afrique du Sud, samedi 16 novembre, 15h40, Allianz Stadium.