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PETITES HISTOIRES DU 6 NATIONS

Lionel Nallet
Il y a les héros qui marquent l’Histoire du 6 Nations et ceux qui alimentent la petite histoire. Celle que les passionnés et les amateurs aiment tant raconter au détour d’une anecdote. Celle de ces joueurs de l’ombre sans qui les victoires les plus épiques n’auraient pu exister. Celle de ces hommes qui ont connu la lumière avant un retour brutal à l’anonymat mais qui font eux aussi la légende du Tournoi.

Dans l’ombre d’un géant Gordon D’Arcy a évolué dans l’ombre de Brian O’Driscoll. Pourtant il jouait à ses côtés au centre de l’attaque irlandaise et du Leinster. On pourrait presque dire qu’il a fait don de la lumière à « Bod » pour se muer en coéquipier modèle au service du collectif. En 2009, tel un phénix, l’Irlande retrouve de sa superbe et remporte son premier Tournoi depuis 1985. Cette année-là, c’est le joueur de l’Ulster, Paddy Wallace, qui débute les trois premiers matchs du 6 Nations aux côtés de la légende Brian O’Driscoll. L’année précédente, lors du match d’ouverture contre l’Italie, Gordon D’Arcy subit plusieurs fractures au bras qui l’éloignent des terrains pendant près d’un an. Puis c’est dans l’ombre qu’il revêt la tunique verte comme remplaçant de Ronan O’Gara, au poste de demi d’ouverture, preuve de la confiance inébranlable que lui accorde le sélectionneur Declan Kidney.

« Je me rappelle, après chaque match, Paddy était meurtri et épuisé, se souvient le talonneur Jerry Flannery au micro de l’Irish Examiner. Vous ne saisissez peut-être pas à quel point ce poste de premier centre peut être difficile, encore plus avec le rugby que nous proposions à l’époque. C’est un rôle qui lui réclamait un abattage énorme. Ce n’était pas le joueur le plus impressionnant mais il était prêt à mourir sur le pré. »

Contre toute attente, Gordon D’Arcy retrouve son poste de titulaire lors de la victoire des siens 22-15, dans l’antre de Murrayfield en Écosse. Il ne reste plus qu’une marche à franchir, mais quelle marche ! Il faut vaincre le Pays de Galles, tenant du titre, dans le chaudron du Millennium Stadium de Cardiff. En cas de victoire, les Irlandais décrocheraient la Triple couronne et le Grand Chelem, leur second après celui de 1948. Il ne reste plus que quelques minutes à disputer quand Declan Kidney décide de faire entrer Paddy Wallace… qui commet la faute. Stephen Jones a au bout de son pied la pénalité de la gagne pour le Pays de Galle. « Je savais que si cette pénalité passait, ma vie ne serait plus la même » confie même Paddy Wallace à la BBC une dizaine d’années plus tard. Ce jour-là le trèfle a bien quatre feuilles. Stephen Jones tremble peut-être un peu au moment de frapper. Résultat des courses, son coup de pied est trop court. Le Pays de Galles est défait à domicile. Cette victoire résonne aujourd’hui encore comme l’un des plus grands succès du rugby irlandais.

La paire de centres composée de Gordon D’Arcy et de Brian O’Driscoll a marqué l’histoire de ce sport. Elle reste aujourd’hui celle qui compte le plus d’apparitions au niveau international. Ces deux-là auront porté le Trèfle ensemble à 56 reprises… Impressionnant.

L’homme de l’ombre Dans la série des deuxièmes lignes de légende, des durs au mal, on pense à Alun Wyn Jones, Martin Johnson ou encore Paul O’Connell. Parmi ces infatigables joueurs de l’ombre, le Français Lionel Nallet fait pourtant figure d’épouvantail. Déjà vainqueur du Tournoi des 6 Nations en 2006 et 2007, il atteint son summum en 2010 alors débarrassé du brassard de capitaine laissé à Thierry Dusautoir.

En conférence de presse d’avant-match contre l’Irlande, il cueille le Trèfle avec délicatesse : « Ils sont efficaces mais leur jeu ne me fait pas bondir. Nous avons d'autres ambitions à ce niveau-là. » Phrase largement partagée par la presse irlandaise. Lionel Nallet ne se fait pas que des amis du côté du public irlandais… À 33 ans, il rayonne de par son activité débordante et joue un rôle majeur dans cette épopée qui mène le XV de France au Grand Chelem. Il est l’un des six avants à débuter toutes les rencontres.

La France doit attendre 12 années supplémentaires avant de réaliser un nouveau Grand Chelem. 12, c’est aussi le nombre d’années qu’il aura fallu pour battre l’extraordinaire record établi par Lionel Nallet : 154 placages réussis consécutivement dans la compétition entre 2008 et 2012, aucun manqué. Entre 2019 et 2022, l’Écossais Hamish Watson, infatigable défenseur, est venu à bout de ce record et monte la mise à 235. Il n’a raté aucun plaquage depuis 2018… record en cours.

La tour de contrôle italienne

Alessandro Zanni fait partie de ces joueurs plus appréciés en Italie qu’à l’étranger. Il est pourtant indubitablement l’un des meilleurs 3 ligne de sa génération et de l’histoire d’un rugby italien qui n’en a pourtant jamais manqué. Bien que redoutable en tant que flanker, il doit troquer la 3 ligne pour la seconde lors de ses ultimes saisons. Embouteillage au poste dira-t-on. Il n’en reste pas moins un joueur emblématique et indispensable à la Squadra Azzura. Sur une période de 6 saisons, Alessandro Zanni dispute 58 matchs au service de sa nation sans en manquer un seul.

L'une de ses spécialités, le contre en touche. Il est le cauchemar des talonneurs. 5 ballons volés en une rencontre de Pro 12 (actuel United Rugby Championship) contre Edimbourg. Record égalé mais jamais battu. Zanni, c’est surtout 119 caps sous le maillot italien. Un centurionpourtant écarté des terrains pendant deux longues saisons en raison de problèmes de genoux. Tout simplement exceptionnel. Et qui mieux qu’une autre légende italienne pour conclure le chapitre Zanni qu’un Sergio Parisse dithyrambique envers son ancien coéquipier et pour qui ce fut « un honneur » de jouer à ses côtés.

Remporter le Grand Chelem sans club c’est possible De la recherche de club au Grand Chelem, il n’y a qu’un pas. En 2005, un an après avoir vu sa province des Celtic Warriors partir en fumée (une année seulement après sa création !), le talonneur Mefin Davies se mue en guerrier rouge et participe au Grand Chelem gallois. Le premier depuis plus d’un quart de siècle. Des performances qui ont d’ailleurs tapé dans l’œil du Stade Français qui a tenté en vain de le recruter. C’est finalement à Gloucester que Mefin Davies trouve son bonheur. Son entraîneur de l’époque, Dean Ryan, l’a qualifié de joueur complet. « C’est un talonneur à l’ancienne - très bon dans son rôle – mais une fois le boulot effectué dans le jeu au ras et dans la ligne de touche, il se mue en flanker supplémentaire » Les éternels espoirs Parfois, les étoiles peuvent briller puis disparaitre façon étoile filante. Les 3 lignes Jack Clifford et Dan Leavy font partie de cette cohorte étincelante. Clifford a joué dix fois pour l’Angleterre sans avoir goûté à la défaite, tandis que l’Irlandais Leavy a fait encore mieux avec onze victoires en autant de rencontres… on en revient au trèfle à quatre feuilles. Malheureusement, tous deux verront leur carrière écourtée à l’âge de 27 ans. Des rêves brisés par des blessures à répétition.

L’ancien capitaine anglais des moins de 18 ans et des moins de 20 ans, Jack Clifford, a remporté deux Tournois, débutant les matchs sur le banc lors du Grand Chelem de 2016, avant de se faire une place au soleil parmi les titulaires en 2017. Les hommes d’Eddie Jones enchaînent une 16 victoire consécutive au Pays de Galles. Sa brève apparition dans le match suivant contre l’Italie sera son dernier avec le XV de la Rose. Une blessure l’écarte définitivement d’une carrière internationale. Le rideau tombe pour de bon lors de son 100 match avec les Harlequins. La blessure de trop. Parfois, les plus beaux hommages viennent des autres joueurs. Celle de Jamie Roberts, son coéquipier aux Harlequins, vaut tout l’or du monde. Pour la légende du rugby gallois, Clifford est un « joueur merveilleux. L’un des meilleurs avec qui j’ai eu le plaisir de jouer. »

De son côté, Dan Leavy dispute, en 2018, chacun des cinq matchs de l’Irlande. Année où le XV du Trèfle rafle tout sur son passage. Lors de son tout premier match dans le Tournoi un an plus tôt, il fait rempart pour empêcher l’Angleterre de décrocher un deuxième Grand Chelem consécutif. Son coéquipier au Leinster, Brian O’Driscoll, déplore sa fin de carrière prématurée : « Il était lancé, il semblait n’avoir aucune limite. » Son seul talon d’Achille, une blessure au genou qui n’a jamais pu guérir totalement. Plafond de verre d’une carrière avec le XV du Trèfle qui ne faisait que décoller.