Eliminée en quart de finale, la France arrive en troisième position derrière les deux finalistes - l’Afrique du Sud et la Nouvelle-Zélande - en termes de retombées sur les plateformes les jours de match. Cinq ans pour créer une puissance médiatique
En tête des engagements, la Fédération Française de Rugby (FFR) en particulier a su tisser un lien quasiment intime avec son public au cours des dernières années. En fait, il faut remonter à 2017 pour constater un changement notable dans la stratégie numérique.
A cette époque, la fédération est encore timide tant sur le plan des infrastructures numériques – le site ombrelle n’est pas responsive, les sites des comités sont obsolètes, la base de données fédérales inexistante… - que de la communication – pas de chaîne YouTube, des réseaux animés sans stratégie offensive…
Un vaste chantier de refonte de la communication est alors lancé autour des équipes de France et la FFR va vite rattraper son retard. « On s’est comparé au début pour voir d’où on partait », reconnaît Laurent Latour, directeur communication et numérique de France Rugby.
« Mais très vite on n’a plus cherché à se comparer en permanence aux autres nations ; ça nous importe peu. On se concentre sur nous. On croit savoir ce qu’il faut faire pour parler à nos fans à nous. On écrit en permanence nos stratégies, nos contenus. On essaie de se réinventer en permanence pour parler à notre public qui est spécifique, unique. »
Inside les équipes de France
La stratégie de France Rugby en la matière tient en trois mots : transparence, proximité et authenticité. « Il y a un enjeu de rassembler nos fans derrière nos équipes de France et de partager avec eux ce que vivent nos équipes de France », poursuit Laurent Latour.
« On a un enjeu d’inside qui est très important, un enjeu d’authenticité. On communique avec transparence. On va vraiment leur montrer qui nous sommes, qui sont les joueurs, qui sont les staffs. Et les histoires se racontent d’elles-mêmes. On ne cherche pas à inventer, à travestir, à faire du storytelling.
« Le storytelling se fait quand tu as pour ambition de coller le plus possible à la réalité. Transparence et proximité. Aujourd’hui, les Français se sentent proches des équipes de France et en particulier du XV de France masculin parce que nous travaillons activement à cette transparence. Nous travaillons avec les joueurs eux-mêmes qui décident de ce que l’on partage - et souvent ils sont enclins à ouvrir les portes – et on travaille aussi avec les staffs. »
La méthode de travail, fondée sur la collaboration et le travail d’équipe, est pour le moins innovante. Il faut imaginer une sorte de comité de rédaction immense qui comprend, outre la douzaine de salariés de la cellule communication (dont la moitié dédiée aux réseaux sociaux et aux contenus visuels), les staffs et les joueurs qui ont tous leur mot à dire sur ce qu’il faut mettre en avant et partager.
« On en parle toutes les semaines lors des rassemblements avec les équipes de France », détaille Laurent Latour.
« On a des ateliers du ‘Cadre de vie’ avec un practice dédié qui s’appelle ‘Image et Parole’. Et toutes les semaines on travaille avec les joueurs sur cette question avec pour ambition d’être transparents et authentiques vis-à-vis de nos fans pour avoir une communication qui nous ressemble. »
De là a découlé une première série primée, « Destins mêlés », sur le parcours du XV de France (335 millions de vues en 35 vidéos) qui a été étendue aux autres équipes : « Ames sœurs » sur le XV de France féminin et « Horizon Bleu » sur les U20.
A chacun sa communication
Au-delà d’expliquer les règles parfois techniques et subtiles, la FFR a misé la relation avec ses fans sur l’affect, l’humain, l’émotion en investissant toutes les plateformes qui se présentaient - TikTok, Facebook, Instagram, Snapchat, LinkedIn… - et en appliquant scrupuleusement les codes de chacune afin d’être audible du plus grand nombre.
C’est le cas par exemple sur Twitch où sont notamment retransmises les conférences de presse les plus attendues.
« C’est un réseau social encore très axé sur le gaming, les moins de 25 ans et sur l’interaction. Y aller, c’est parler à des passionnés d’e-sport, à des passionnés de sport, c’est créer des contenus innovants, aller en conquête d’un public », explique Laurent Latour.
« Chaque réseau a ses codes et ses populations. On ne parle pas à tout le monde de la même façon et chacun a des centres d’intérêt différents. On s’adapte aux codes et aux publics. »
La visibilité au cœur de la stratégie économique de la fédération
Ce lien intime créé entre les équipes et les supporters, basé sur les valeurs du rugby, ont permis que le sport tire son épingle du jeu dans un environnement hautement concurrentiel sur le marché français.
« La visibilité, le rayonnement de nos équipes de France est au cœur du modèle économique de la fédération », rappelle Laurent Latour.
« Cette visibilité, on l’a sur le linéaire grâce à l’audience que vont faire les matchs (dans les stades et à la TV), ainsi que sur les réseaux sociaux. Un partenaire trouvera alors intéressant de venir sponsoriser une équipe de France ou la fédération.
« Si on ne le fait pas, ce sont des fans en moins, des partenaires en moins, des ressources financières en moins… On a la billetterie, le sponsoring, les droits télé qui ne sont que plus élevés quand tu arrives à rassembler un maximum de personnes et à faire les plus belles audiences parce que corrélées à l’espace publicitaire que tu vends. Derrière, c’est vertueux pour le modèle économique. Il y a un enjeu passionnel et un enjeu économique. »
Une stratégie innovante et efficace
Dernièrement, la cellule communication de la FFR a reçu la médaille d’or du Grand Prix des stratégies digitales sur les réseaux sociaux en reconnaissance du travail accompli en 2023.
Une satisfaction, mais pas un aboutissement, tant la tâche doit être sans cesse renouvelée. Une Coupe du Monde de Rugby se termine qu’un nouveau Tournoi des Six Nations commence et avec lui, une nouvelle façon de raconter la suite.
« On veut se réinventer. On travaille sur des idées car notre objectif est de surprendre. On veut garder ce que l’on fait de bien mais on veut toujours se remettre en question et ne pas tomber dans l’autosatisfaction », insiste Laurent Latour.
« On est fier de ce que l’on fait mais on a conscience de tous les axes d’amélioration. A chaque édition on essaie d’identifier ce que l’on va faire de mieux pour augmenter le curseur à chaque fois. »