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La petite histoire de l’unique Crunch joué un 1er janvier

France vs. England 01-01-1908
Le 1er janvier 1908, la France accueille l’Angleterre au Stade du Matin à Colombes pour un match qui restera encore unique 117 ans plus tard.

« Les Anglais se sont décidés il y a deux ans à prendre les joueurs de football rugby français au sérieux et ils ont bien voulu daigner accepter de disputer le match annuel France contre Angleterre. »

Ainsi débute l’article du 1er janvier 1908 en Une du journal L’Auto (fondé en 1900 et qui sera interdit de parution ayant été jugé trop favorable à l’Allemagne) pour annoncer « le grand match » entre les deux nations prévu ce jour-là « au Stade du Matin à Colombes » (aujourd’hui Stade départemental Yves-du-Manoir). Ce stade, c’est en fait l’ancien hippodrome transformé en stade qui prend en 1907 le nom de l’un des plus grands quotidiens de l’époque et qui compte 10 000 places, ce qui en fait l’une des plus grandes enceintes sportives françaises.

La veille, le 31 décembre, les Anglais sont arrivés en train à Paris avec tout le board de la fédération anglaise de rugby. Ils sont accueillis sur le quai par Charles Brennus, président de la Commission centrale de football rugby. Deux Français manquent à l’appel. Dans la soirée, les organisateurs reçoivent un télégramme leur annonçant le forfait de deux joueurs de Bordeaux après avoir manqué « successivement la demi-douzaine de trains capables de les amener à Paris », raille le journaliste Fernand Bidault dans La Vie au grand air.

Une équipe de France est constituée à la va-vite avec Marcel Communeau en capitaine (21 sélections entre 1906 et 1913). Cet ingénieur de formation est passé à la postérité pour avoir imposé le coq gaulois sur le maillot des joueurs du XV de France, un emblème qui n'existait pas encore en 1906 (avant les joueurs avaient des anneaux bleu et rouge) et qu'il a revendiqué en 1911, inspiré par la décision de l'USFSA d'ajouter un symbole national aux maillots des footballeurs.

Les joueurs de corvée de neige

Ce 1er janvier 1908, des trains spéciaux sont affrétés par « la Compagnie de l’Ouest », 40 agents sont mobilisés pour sécuriser l’enceinte, le ballon de la rencontre, « un Tunmer spécial », est exposé le lendemain du match.

L’événement de taille puisque c’est la première fois que le Stade du Matin accueille un match international. C’est aussi la première et unique fois que l'Angleterre a joué un match officiel de rugby international le jour de l'an ; qui plus est contre ses meilleurs ennemis, les Français. Les Bleus s’inclinent logiquement 0-19, mais la presse salue le fait qu’ils n’ont pas été écrasés par les Anglais qui, à cette époque, sont la véritable bête noire des Français.

Cette « défaite honorable » se joue par un froid glacial, sous la neige « qui a fait dire tant de bêtises aux poètes », écrit le journaliste de L’Auto, L. Manaud, dans son compte-rendu. Le terrain est recouvert d’une belle couche et ce sont les joueurs eux-mêmes qui vont l’enlever pendant plus d’une heure « avec de superbes balais tout neufs, ma chère, et des balais qui avaient été achetés spécialement pour la circonstance par Me Bernstein, le brillant avocat, défenseur du sinistre Soleilland » (Albert, un jeune ébéniste reconnu coupable d’avoir violé, étranglé et poignardé une petite de 11 ans avant de l’empaqueter dans des toiles d’emballage à la consigne de la Gare de l’Est où son corps sera retrouvé).

Dans leur tenue, les Français manquent d’élégance

Après 20 minutes de retard, le coup d’envoi est donné par Cyril Rutherford, un arbitre français d’origine écossaise. Les Anglais sont les premiers à pénétrer sur le terrain, « tous de grands gaillards » dont « le maillot blanc contribue à faire valoir leur puissance apparente ». L’arrière est « quatre fois plus gros » que son vis-à-vis français, les trois-quarts sont « de véritables géants » et « les avants sont tous des gars qui donnent une réelle impression de force et de puissance ».

En revanche, en face, c’est la désillusion pour le journaliste : « les Français sont bien mesquins à côté et puis leur accoutrement n’est pas très heureux : maillot bleu, culotte blanche, bas rouges, c’est pratique à certains points de vue, mais ça manque réellement d’élégance ».

Le froid est perçant et les joueurs ont les mains gelées, le terrain est glissant et les passes se révèlent impossibles. Les avants français dominent, mais les trois-quarts peinent à concrétiser leurs attaques face à des Anglais sans cesse sur leur dos. Ramenés à 13, les Français cafouillent mais résistent courageusement. « On ne peut pas dire que les Français furent un seul instant démoralisés, car jusqu’à la fin de la bataille ils firent l’impossible pour marquer. Mais ils furent indiscutablement désunis… », raconte Manaud dans son compte-rendu en notant deux manques dans le jeu des Bleus : « l’esprit d’à-propos et encore de l’expérience ».

Pourtant, ce 1er janvier 1908, le journaliste se veut plus encourageant. « Quoique battus, on doit néanmoins se féliciter du résultat de cette partie et il semble que nous ne sommes pas éloignés du jour où l’équipe nationale de France parviendra enfin à triompher de sa vieille rivale d’Angleterre. » Manque de clairvoyance.

Après une défaite 8-35 à Paris en 1906, puis une nouvelle 41-13 à Richmond en 1907, cette troisième rencontre est une fois de plus marquée par une défaite considérée comme encourageante (comme les nombreuses que les Bleus connaîtront près de 100 ans plus tard !). Les Français devront d’ailleurs attendre 1927 pour enfin pouvoir battre les Anglais, soit après 21 ans de ce que l’on qualifiera plus tard de Crunch.

(Cet article a pu être réalisé grâce à l'aide précieuse du Musée National du Sport à Nice.)