Reportage

Le grand entretien : Olivier Magne

OlivierMagneFraIre04SB2000
Il y a des personnages dans le rugby, quand ils parlent, tout le monde les écoute.

Il y a des personnages dans le rugby, quand ils parlent, tout le monde les écoute.

Olivier Magne en fait partie. Quatre fois vainqueur du Grand Chelem avec un autre titre dans le Tournoi en prime, Magne a quasiment tout gagné avec les Bleus.

Il a même remporté un cinquième Grand Chelem avec l’équipe des moins de 20 ans en tant qu’entraîneur.

Il est longuement revenu sur sa carrière de joueur, son passage avec les Bleuets, et sa vision du rugby moderne :

En fait ils sont trois, les joueurs à avoir remporté le Grand Chelem à quatre reprises dans l’ère moderne. Jason Leonard, Fabien Pelous et donc Olivier Magne.

Un troisième ligne comme on les aime, capable de jouer trois-quarts centre s’il fallait, toujours à la recherche du ballon et amoureux du beau jeu.

Digne successeur de Laurent Cabannes dans la troisième ligne française, son arrivée chez les Bleus était logique sous les ordres du duo Pierre Villepreux/Jean-Claude Skrela.

DES DÉBUTS EN FANFARE

Cette équipe de France avait pour but de jouer de partout, d’attaquer au large avec la recherche permanente de l’espace. Magne s’y est adapté tout de suite.

Remplaçant pour son premier match contre le pays de Galles en 1997, il avait été propulsé titulaire 15 jours plus tard pour le Crunch à Twickenham. Un match qui avait définitivement lancé cette version des Bleus.

Magne raconte : « En 1997, après un long parcours depuis 1992 avec toutes les sélections jeunes, ma première sélection arrive contre le pays de Galles au Parc des Princes où je suis remplaçant. J’ai l’opportunité de jouer les 20 dernières minutes du match et c’est ma rentrée dans le Tournoi des Cinq Nations.

« Les entraîneurs de l’époque, Pierre Villepreux et Jean-Claude Skrela m’annoncent que je serais titulaire à Twickenham pour un match qui a son importance et qui est très attendu par toute la France et les deux pays. Je me retrouve à jouer titulaire pour ce match avec une histoire heureuse pour la suite. Une victoire à Twickenham dans le temple du rugby, face à nos ennemis préférés.

« Ce qui fait démarrer le groupe, ce groupe-là qui se retrouve jusqu’en 2001, 2002 voire 2003, c’est cette victoire contre l’Angleterre à Twickenham qui déclenche un petit peu les choses et qui permet de valider tout le travail qui avait été fait par les entraineurs et par les joueurs à travers un jeu qui était quand-même assez identifiable. »

Vainqueurs 23-20 à Twickenham, avec un retour inespéré après avoir été menés 20-6 à l’heure de jeu, les Bleus ont survolé leur dernier match avec une victoire 47-20 contre l’Ecosse au Parc des Princes. Magne a joué un rôle décisif avec un essai sur un contre de 80 mètres et une passe décisive pour Laurent Leflamand.

« Derrière on enchaine avec une autre victoire contre l’Ecosse au Parc des Princes pour le Grand Chelem. Démarrer comme ça c’est assez exceptionnel, c’était un conte de fées qui se réalisait.

« Ce que j’ai bien aimé dans ce dernier match, c’est qu’on a su reproduire ce que les coaches attendaient de nous. C’était un rugby total, un rugby aéré où il y a la recherche d’espace, l’envie de jouer de n’importe quel endroit du terrain. Il y a des essais qui font près de 80 mètres ou beaucoup de joueurs touchent le ballon, font la passe au bon moment, prennent la bonne décision, je trouve que ça illustre bien tout le rugby français, toute la qualité du rugby français, qui est celui qu’on aime jouer, qui fait plaisir non seulement aux joueurs mais aussi aux spectateurs, même ceux qui ne sont pas français mais qui apprécient le jeu à la française. Alors on peut dire que le French flair était bien présent ce jour-là contre l’Ecosse au Parc de Princes et c’est ce que tout le monde apprécie fortement. »

LE JOUR DE GLOIRE À WEMBLEY

Si le Grand Chelem en 1997 était inespéré, celui de 1998 était une confirmation avec une finale en apothéose contre le pays de Galles à Wembley et ce fameux 51-0.

Thomas Castaignède était le grand artisan de cette victoire, mais pour Magne la qualité de cette équipe de France était surtout la capacité de tous les joueurs de s’illustrer à travers le collectif.

« 98 était vraiment intéressant au niveau du jeu parce qu’on retrouvait sur le terrain une quinzaine de joueurs qui jouaient et parlaient le même rugby et on voyait d’excellentes choses. C’était du très bon rugby où on a pris beaucoup, beaucoup de plaisir. C’est vrai que les gens aujourd’hui quand ils m’interpellent pour me parler de ces matchs-là, on sent que les spectateurs ont pris beaucoup de plaisir, c’est bien parce que nous on en a pris beaucoup aussi et on en a donné.

« Toutes ces individualités s’illustraient à travers un collectif. C’est vrai que Thomas (Castaignède) fait partie de ces individualités qui apportent beaucoup au collectif, mais le collectif lui apporte aussi beaucoup, et lui permet de s’exprimer dans les meilleures conditions et ce match à Wembley était le point d’orgue de l’identité du jeu à la française avec ces envies d’être au soutien du porteur de balle, de soutenir le jeu et faire vivre le ballon et de marquer et être efficace. Parce que c’est bien de pouvoir jouer ce rugby­-là mais il faut être efficace, il faut pouvoir gagner, marquer des essais, et c’est ce qui s’est passé ce jour-là contre le pays de Galles dans un lieu incroyable avec une histoire incroyable. De pouvoir gagner 51-0, ça a été très marquant et en tout cas ça reste un souvenir exceptionnel. »

Deux Grands Chelems en deux participations au Tournoi, Magne ne pouvait rêver de mieux, mais forcément cela ne pouvait pas durer indéfiniment.

RIVALITÉ AVEC LES ANGLAIS

Une rivalité avec l’Angleterre a suivi, et si c’est le XV de la Rose qui a remporté la Coupe du Monde en 2003, au plus grand regret de Magne, les Bleus ont tout de même remporté un premier Grand Chelem dans le Tournoi des Six Nations l’année d’avant. Et celui-là, Magne l’apprécie encore plus.

« Quand je débute en 1997, on fait le Grand Chelem assez rapidement, et donc je me dis qu’on va essayer de pouvoir le faire chaque année. L’année d’après on le fait, en 1998, et puis c’est en 1999, quand tu ne fais pas le Grand Chelem, tu te rends compte que ce n’est pas aussi évident que ça. C’est quand-même très difficile à aller chercher, c’est incroyablement difficile et c’est pour ça qu’en 2002 et 2004, ce sont des Grands Chelems qu’on savoure un peu plus parce qu’on connaît la difficulté pour accéder à ce graal, à ce Grand Chelem.

« J’étais vraiment reconnaissant de pouvoir évoluer dans une équipe et avec des joueurs qui me permettait à titre individuel d’accéder à ce genre de satisfaction et de récompense. C’était vraiment partagé avec tout le monde. Ce sont des choses qu’on ne nous enlèvera pas et je trouve que ça montrait bien toute la qualité et le réservoir du rugby français et tout le potentiel qu’on pouvait avoir quand on décidait d’aller chercher des titres.

« Le début des années 2000, c’était une période vraiment intéressante parce que les Anglais après 99 ont basculé sur d’autres joueurs avec un autre fonctionnement aussi, tout en voulant préparer la Coupe du Monde 2003 avec une génération de joueurs exceptionnels, les Jason Robinson, les Mike Catt, les Dallaglio, les Richard Hill. Tous ces joueurs qui étaient incroyables et à chaque fois qu’on les rencontrait on savait que ça allait être très dur. On avait beaucoup de respect pour eux.

« C’était une très belle équipe collective avec des individualités exceptionnelles et des joueurs très déterminés et ça se voyait à chaque fois qu’on les rencontrait. On se rendait bien compte de la détermination de ces joueurs de battre chacun de leurs opposants. Et ça a donné lieu à de magnifiques batailles sur le terrain pendant le Tournoi des Six Nations.

« On a eu la chance en 2002 de faire ce Grand Chelem, là aussi avec un nouvel entraîneur, des joueurs qui étaient arrivés à maturité, la plupart des joueurs avec qui j’étais, des Pelous, des Ibanez, des Dominici, des Dourthe, on était de la même génération, on avait fait tout notre cursus ensemble depuis les sélections jeunes et on arrivait à maturité. Ce Grand Chelem il venait confirmer un petit peu la qualité et la maturité des joueurs à titre individuel et aussi la maturité collective avec de nouveaux joueurs qui arrivaient, Rougerie, Michalak, qui allaient un petit peu enrichir le groupe pour préparer la Coupe du Monde 2003. Malheureusement cette Coupe du Monde nous échappe mais dans les années 2000 alors en 2002 avec le Grand Chelem puis 2004 un autre Grand Chelem, c’était pour nous un moment important où on a su profiter de la maturité qui était la nôtre pour avoir de nombreux titres. »

Magne a fait sa dernière apparition dans le Tournoi en 2006, une nouvelle victoire des Bleus, sans le Grand Chelem cette fois à cause d’une défaite en Ecosse lors de la première journée.

PASSAGE CHEZ LES BLEUETS

Après avoir pris sa retraite en 2007, il est devenu entraîneur à Brive, puis avec l’équipe nationale de la Grèce et surtout en tant qu’entraîneur des avants des moins de 20 ans français.

Ce passage avec les Bleuets lui a permis de retrouver cette ambiance du Tournoi.

« L’atmosphère est la même, ces rencontres entre toutes ces nations anglo-saxonnes, il y a toujours un parfum particulier qui fait qu’on apprécie ces rencontres, on apprécie cette ambiance et de pouvoir pendant trois ans, évoluer avec l’équipe de France des moins de 20 ans, ça m’a fait revenir un petit peu en arrière. J’ai trouvé ça très sympa parce que tu revois des anciens joueurs qui sont dans l’encadrement des équipes là. Alors c’est plus cool et puis en même temps, il y a toujours cette pression liée aux résultats, à l’envie de bien faire et de bien jouer, ces trois ans avec les moins de 20 étaient sympas, en plus il y a une année où on fait le Grand Chelem donc ça, c’était vraiment cool.

« L’idée de jouer le Tournoi avec les moins de 20, l’idée première ce n’est pas de gagner, c’est de former ces joueurs pour le très haut niveau, pour l’équipe de France, pour qu’ils soient performants et finalement, on s’aperçoit qu’il y a des joueurs qui réussissent au plus haut niveau maintenant, des Dupont, des Ramos, des Penaud, tous ces joueurs qui sont passés par l’équipe des moins de 20 ans et que j’ai eu l’occasion d’entraîner.

« Il y a des joueurs comme ça chez les jeunes qui sont marquants, qui ont des dispositions différentes. Quand tu as l’opportunité de régulièrement entraîner des jeunes joueurs, il y a un œil de l’entraîneur qui fait que tu vois qu’il y a des joueurs qui à un moment ou un autre se retrouveront dans la grande équipe de France. Antoine Dupont faisait partie de ces joueurs qui faisaient des choses déjà extraordinaires avec les moins de 20 et il continue de le faire alors c’est d’autant mieux. »

Dupont sera absent ce week-end contre l’Ecosse, mais il incarne cette nouvelle équipe de France, qui est passée tout près de la victoire dans le Tournoi l’année dernière.

Invaincue en 2021 après deux journées, les Bleus confirment, mais Magne reste prudent quant à la progression de l’équipe.

« Ça joue mieux. Maintenant ça reste fragile. Il faut rester vigilant quand-même. L’équipe de France revient d’un passage très compliqué ces dix dernières années avec très peu de résultats, un rugby dans lequel on ne la reconnaissait pas. Ce n’était pas un rugby qu’elle aimait jouer ou qu’elle maîtrisait et il y a eu beaucoup trop de défaites et le traumatisme est profond.

« Alors c’est une équipe de France qui retrouve des couleurs avec une nouvelle génération et de nouveaux joueurs mais les autres nations aussi ont beaucoup travaillé ces dix dernières années, ont pris un peu d’avance donc même si je suis enthousiaste de voir une équipe de France qui retrouve son rugby avec d’excellents joueurs, tout ça reste fragile et il faut rester vigilant, ne pas croire que tout est fait.

« Moi je suis plutôt heureux de voir ces jeunes joueurs qui s’éclatent avec l’équipe de France parce que l’idée c’est de passer du bon temps, essayer de se régaler, profiter de ces moments-là et puis d’aller chercher des victoires en jouant bien. C’est ce qu’on aime bien côté français, voir l’équipe s’amuser, prendre du plaisir et gagner.

« L’idée, c’est de pouvoir jouer les uns pour les autres et puis surtout, d’essayer de parler le même langage rugbystique. C’est-à-dire que quand un joueur, et notamment le porteur de balle prend une décision, il faut que les autres soient capables de lire la décision du porteur de balle et de réagir en conséquence et de soutenir le porteur de balle. Quand Dupont prend un intervalle, les autres joueurs autour savent exactement comment réagir pour lui permettre de passer son ballon, de faire vivre la balle et de marquer des essais donc c’est bien de voir que la plupart des joueurs qui composent cette équipe de France parlent le même rugby et arrive à se comprendre sur le terrain et c’est un gage d’efficacité pour gagner des matchs à très haut niveau. »

Et pour progresser, il y a un secteur clé qu’il faudra travailler selon Magne.

« La progression de l’équipe de France elle est dans l’orientation de son jeu offensif. C’est vrai qu’elle est très forte sur les ballons de récupération, elle défend très, très bien, elle arrive à récupérer le ballon très, très vite pour contre-attaquer assez vite mais pour l’instant, au niveau de son jeu offensif, c’est là où il y a beaucoup à faire.

« Il y a encore beaucoup de choses à travailler, dans la circulation offensive, il y a des repères à trouver. On sent que c’est une équipe de France qui est en train de chercher et de trouver sa cohésion collective pour lui permettre d’attaquer quand ce sera nécessaire, de tenir le ballon longtemps, d’imposer des séquences assez longues contre une défense qui résiste, de trouver des solutions de manière collective sur le plan offensif. Ça c’est un travail sur le long cours et j’espère que d’ici les deux prochaines années on verra un jeu offensif vraiment encadré pour lui permettre d’avoir un jeu complet. »

Si cette équipe de France peut avoir le même succès qu’Olivier Magne, elle aura trouvé les solutions pour avoir ce jeu complet.