Matthieu Jalibert se souviendra à jamais de cette soirée du 30 novembre 2024. Non pas du score du match remporté tristement par Bordeaux face à Montpellier grâce à trois pénalités de Maxime Lucu (9-6) – premier match sans essai du Top 14 depuis le 20 février 2023 ! – au cours d’un match joué dans un brouillard épais. « Le match ne restera pas dans les annales », a-t-il concédé.
Non, ce dont il se souviendra, Matthieu Jalibert, c’est de la réaction des supporters juste après. Juste après, quand il a pris le micro du speaker du stade Chaban-Delmas pour s’adresser aux 32 000 supporters de l’UBB. « Ça fait quelques semaines que c’est signé, mais j’attendais le bon moment parce que je voulais le partager avec vous en premier », est-il intervenu pour confirmer la prolongation de son contrat jusqu’en 2028, contrat qui court déjà depuis 2007 et 127 matchs. « Voilà, c’est une exclusivité au nom de tout l’amour que vous nous donnez, au nom de toute l’équipe. Merci pour tout, merci pour le soutien, merci pour vos messages et à très bientôt ! »
Tout le monde avait raconté qu’il avait claqué la porte du XV de France
Cet épisode heureux referme une parenthèse pleine de doutes consécutives à l’Autumn Nations Series qui l’avait vu quitter soudainement le groupe France à la veille du deuxième match contre la Nouvelle-Zélande. À ce moment-là, il faut reconnaître que personne n’avait rien compris. Parce que Fabien Galthié ne prévoyait pas de le mettre titulaire pour les deux derniers matchs, ni même sur le banc, Jalibert avait pris son sac et était rentré chez lui.
Loin d’être considérée comme une attitude d’enfant gâté à qui on refuse une friandise, sa réaction avait au contraire attiré sur lui de la sympathie de la part de certains face à l’incompréhension de vouloir se passer d’un joueur de sa classe qui vit un début de saison exceptionnelle avec l’UBB.
Fabien Galthié n’avait pas dissipé les doutes lorsqu’il avait déclaré de manière abrupte en conférence de presse : « C'est son choix. Chacun vit ses émotions, chacun est libre de les partager. Nous, on a besoin de détermination, de joueurs forts. Jusqu'ici, il a toujours apporté le meilleur de lui-même. Il continuera en équipe de France... s'il le souhaite. C'est à lui de prendre cette décision. » Comprenne qui pouvait à ce moment-là…
Alors que les Bleus savouraient une troisième victoire de rang contre l’Argentine, Jalibert était entré en jeu face au RC Vannes. Mais pas assez longtemps pour se changer les idées, il avait été obligé de sortir après seulement dix minutes de jeu suite à une béquille infligée par Mako Vunipola à la 2e minute. Sorti prématurément, il avait cependant vu sa blessure évoluer favorablement, permettant son retour en tant que titulaire à l’ouverture ce samedi contre Montpellier.
« Il faut savoir dire stop quand il y a un trop-plein »
L’occasion de la réception de Montpellier était trop belle pour clore cet épisode et donner, enfin, sa version des faits sur sa sortie en eau de boudin de la tournée du XV de France alors qu’un nouveau cycle de trois ans s’ouvre en vue de la Coupe du Monde de Rugby 2027 en Australie.
« Ça a été une période compliquée, pas facile à gérer, mais ça fait partie du sport de haut niveau », a-t-il résumé d’emblée. « Tout ne peut pas aller toujours dans le bon sens, c’est comme ça. J’ai exprimé des choses à Fabien (Galthié) sur un certain mal-être que j’avais, et on m’a proposé de faire un break et de rentrer à Bordeaux, chose que j’ai acceptée. »
Dans cette histoire, le « on », c’est la cellule de préparation mentale mise en place par la Fédération Française de Rugby qui a reçu Jalibert, ainsi que Patrick Arlettaz, entraîneur adjoint en charge des arrières. « On a une cellule pour parler de nos frustrations, nos déceptions, nos mal-être… elle est faite pour ça. Ce que je regrette, c’est que ce soit revenu aux oreilles de Fabien (Galthié) parce que je voulais attendre la fin de la Tournée pour lui en parler », a précisé l’ouvreur aux 34 sélections à Sud-Ouest.
« On parle beaucoup de bien-être et de santé mentale, et parfois il faut savoir dire stop quand il y a un trop-plein. C’était pour moi, je pense, la meilleure option et cela m’a fait du bien. » Dès lors, on comprend mieux pourquoi Fabien Galthié tentait d’éteindre l’incendie en affirmant : « il n'y a pas de polémique autour de Matthieu Jalibert. Matthieu avait besoin de se régénérer. Je discute avec lui, nous discutons avec lui ».
Manque de confiance, besoin de faire le point
« Depuis la Coupe du monde, j’avais l’impression de ne pas avoir sa confiance », explique encore Matthieu Jalibert. « Sur le début de saison, je me sentais capable d’endosser le rôle, ça n’a pas été le cas. Il y a aussi eu quelques problèmes extérieurs mais qui ne font pas partie de l’équipe de France. J’avais besoin de lui dire tout ça, je pense qu’il l’a compris, il a vu que j’étais à bout. Comme il ne comptait pas sur moi contre les All Blacks et l’Argentine, il m’a proposé de rentrer à Bordeaux pour me régénérer.
« Je ne me suis pas éloigné de l’équipe de France, je reste encore un joueur de l’équipe de France et si on fait appel à moi, je monterais avec le plus grand plaisir », a-t-il insisté.
La franchise de Matthieu Jalibert a eu un effet positif et provoqué d’incroyables retours comme celui de Sébastien Chabal, l’ancien deuxième ou troisième-ligne français (62 sélections). « C’est courageux et c’est bien que des joueurs de ce niveau se mettent à nu », a-t-il salué à la télévision. « Il n’allait pas bien mentalement, il avait certainement un trop-plein, il n’était plus à sa place à ce moment-là, il pensait qu’il n’allait pas servir cette équipe de France et il l’a dit. C’est courageux, il faut le féliciter, vraiment, de cet acte et de l’avouer, de nous le dire à tous, parce que je pense qu’il y a beaucoup de joueurs dans tous les sports qui sont des fois au bord de la rupture. »
Passer à autre chose
« Ce qui est important, c’est que Fabien sache ce que je lui ai dit », a-t-il répété. « On a parlé, on a discuté pendant de longues minutes, je lui ai dit ce que je ressentais, ce que j’avais sur le cœur depuis la Coupe du monde. Il n’y a pas de problème avec Fabien et comme je l’ai dit, je reste un joueur de l’équipe de France et je suis prêt à répondre présent pour les prochains rassemblements. »
Les choses étant dites, l’abcès étant crevé et tout ayant été mis sur la table, Jalibert espère maintenant pouvoir passer à autre chose et que la machine médiatique cesse de s’emballer.
« Ça m’agace. J’ai appris à faire avec », a-t-il reconnu dans les colonnes de Sud-Ouest. « Je sais que je suis un personnage clivant, ça fait beaucoup parler à la moindre chose que je peux faire. Mais ce qui m’agace le plus, c’est qu’on puisse m’accuser de choses fausses et qui ne sont pas moi. On a dit que j’avais un comportement pas adéquat en équipe de France. C’est complètement faux. J’ai toujours donné 100 % de moi-même et j’ai toujours fait en sorte d’avoir le meilleur comportement sur et en dehors du terrain.
« On reproche le fait que ma famille me victimise. Je tiens à rassurer tout le monde, personne ne me victimise dans mon entourage. Les gens parlent surtout sans connaître le contexte et essaient toujours de me faire passer pour quelqu’un de mauvais. Je reste un être humain, j’ai des émotions, je ne suis pas un robot. Parfois, j’arrive à bout et j’ai besoin d’exprimer des choses avec certaines personnes. Fabien l’a compris. Mais ça ne valait pas la peine d’autant de polémiques et de bruit autour de ça. »