Les larmes de Jonathan Sexton resteront l’une des images marquantes de la Coupe du monde de rugby. Celles d’une légende qui après avoir tout remporté avec son club du Leinster et le XV du Trèfle n’avait plus qu’un objectif : soulever le trophée Webb Ellis. Dernière pièce manquante d’une carrière extraordinaire, n’ayons pas peur de le dire.
Enfant prodige dans un pays où les numéros dix d’exception ont toujours été légion, Jonathan Sexton est entré dans la légende en devenant le meilleur marqueur de l’histoire de la sélection irlandaise lors de la Coupe du monde. 1 108 points marqués au total. Mieux que les 1 090 de Ronan O’Gara. Les records, il les collectionne. Lors du dernier Tournoi des Six Nations, il est aussi devenu le meilleur marqueur de points dans la compétition. Il en a inscrit 566, mieux que les 557 de Ronan O’Gara et que les 546 de Jonny Wilkinson… Ahurissant. S’il accumule les records, son palmarès donne le tournis. En équipe nationale, il a remporté le Tournoi 4 fois (2014, 2015, 2018 et 2023), décrochant la triple couronne à trois reprises (2018, 2022 et 2023). Avec son club de cœur, le Leinster, il a remporté 5 fois le Pro 14 et s’est adjugé 4 coupes d’Europe. Consécration, il est élu meilleur joueur du monde par World Rugby en 2018.
À l’heure actuelle, le jeune joueur du Munster, Jack Crowley (23 ans, 9 sélections) semble tenir la corde pour reprendre le flambeau. Si le sélectionneur Andy Farrell souhaite garder un joueur d’expérience, il pourra s’appuyer sur Ross Byrne (28 ans), doublure de Jonathan Sexton au Leinster et déjà sélectionné à 22 reprises sous le maillot irlandais. Attention, la lumière viendra peut-être de Sam Prendergast, récent finaliste de la Coupe du monde U20 et vainqueur du tournoi des Six Nations U20, qui engrange petit à petit du temps de jeu au Leinster.
Si Jonathan Sexton et ses 118 sélections s’en vont, c’est la charnière irlandaise qui pose l’encre et plie les voiles. À 34 ans et 112 caps, Conor Murray a lui aussi décidé de raccrocher les crampons. Une charnière qui se sera côtoyée plus de dix ans. Dix ans à martyriser les défenses adverses en proposant peut-être le jeu le plus rigoureux du rugby international, entre combinaisons parfaitement exécutées et lien entre avants et trois quarts de très haut standing. C’est Jamison Gibson-Park, le Néo-Zélandais d’origine, 31 ans tout de même, qui assure déjà l’intérim, en attendant peut-être l’avènement de Craig Casey (24 ans, 14 sélections) sur le devant de la scène.
Moment d’histoire de cette charnière hors-norme
Les supporters français se rappelleront pendant longtemps du drop assassin planté par Johnny Sexton lors du Six Nations 2018. Nous sommes dans les arrêts de jeu, la sirène a retenti au Stade de France, le numéro 10 irlandais est allongé par terre, perclus de crampes. Les séances de Pick and Go continuent inlassablement. La marée verte rencontre le rideau de fer bleu. Jonathan Sexton se relève, on atteint les 40 temps de jeu. Conor Murray (ces deux-là font la paire) extrait le cuir pour Sexton, qui est à plus de 40 mètres des poteaux, qui passe un drop inoubliable.
Les ailiers Andrew Conway (33 ans) et Keith Earls (36 ans) ont eux aussi annoncé la fin de leur carrière internationale. Une longue et douloureuse blessure au genou a laissé le premier sur le carreau pendant plus d’un an. Fidèle au Munster tout au long de sa carrière, cet ailier virevoltant n’aura pas droit à des adieux dignes de ce nom comme il l’a déclaré sur le site de la fédération irlandaise : « Malheureusement, on m'a conseillé d'arrêter le rugby professionnel en raison d'une blessure au genou ». Andrew Conway, c’est 30 sélections avec l’équipe d’Irlande et 15 essais. Loin des yeux mais près du cœur.
« La retraite n’est jamais une décision facile à prendre, mais c’est le bon moment et je me sens incroyablement chanceux de partir en représentant l’Irlande au plus haut niveau », a expliqué Keith Earls dans un communiqué publié par la fédération irlandaise. Champion d’Europe en 2008 face à Toulouse, c’est une véritable légende au Munster. Il a inscrit 64 essais avec sa province. Il est aussi le deuxième meilleur marqueur de l’histoire du XV du Trèfle avec 36 réalisations, derrière l’inévitable Brian O’Driscoll et ses 46 essais. « Quand j’étais jeune, je n’aurais jamais imaginé représenter mon pays une fois et encore moins 101 fois », a-t-il ajouté. Le public irlandais n’a pas de soucis à se faire. James Lowe (31 ans, 26 sélections) et Mike Hansen (25 ans, 21 sélections) ont déjà repris le flambeau avec classe et autorité.
Si l’avenir en sélection nationale de Peter O’Mahony n’est pas encore acté, ce dernier a souhaité rendre un hommage vibrant à ses deux coéquipiers Sexton et Earls avec qui il a fait les 400 coups sous le maillot vert : « C’est difficile de perdre ces joueurs surtout dans ces circonstances. J’ai passé beaucoup de temps avec lui (Earls) et Johnny. Probablement la majorité de mes sélections avec au moins l’un des deux, si ce n’est toutes. C’est difficile de perdre des gars comme ça, au caractère bien trempé et aussi importants pour l’équipe. Ce sont les meilleurs. Ils sont toujours là pour vous soutenir. Ce sont de bon amis. » Vibrant hommage prononcé, à chaud, après l’élimination de l’Irlande en quart de finale de la Coupe du monde par le 3e ligne historique de l’Irlande.
Si le XV du Trèfle a perdu une partie de ses repères en faisant ses adieux à sa légende Jonathan Sexton et à certains autres cadres du rugby irlandais, les vainqueurs du dernier Six Nations surfent sur la vague d’une génération dorée qui vient d’éclore au plus haut niveau. On pense notamment à Dan Sheehan (25 ans, 21 sélections) qui s’impose déjà comme l’un des meilleurs talonneurs au monde. Aux deuxièmes lignes, Ryan Baird (24 ans, 15 sélections) et Joe McCarthy (22 ans, 5 sélections). Sans oublier le 3e ligne Caelan Doris (25 ans, 36 sélections). Le prochain Tournoi des Six Nations devrait mettre au révélateur cette équipe d’Irlande qui rentre dans une nouvelle ère.