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Six Nations 2025 : l’œil de Mathieu Bastareaud

Matthieu Bastareaud
L’ancien trois-quarts centre international français (54 sélections entre 2009 et 2019) n’a rien perdu des deux premières journées du Tournoi des Six Nations 2025 et ce qu’il en pense mérite qu’on s’y arrête.

La triste fin de l’aventure entre Warren Gatland et le Pays de Galles

Pour moi, une des confirmations de ce Tournoi, c'est malheureusement que l'équipe du Pays de Galles est très, très loin des standards qu'elle avait il y a encore quelques années. Par rapport aux autres nations, l'écart est énorme.

Est-ce que c'est triste ? Oui, bien sûr. Moi, ça me fait vraiment de la peine, parce que j'ai grandi en regardant de grandes équipes galloises, des équipes qui faisaient peur aux meilleurs. Et là, les voir en difficulté comme ça… On ne se réjouit jamais de voir une équipe dans le dur.

Alors, est-ce que c'est un trou générationnel ? Pas forcément. Mais il va falloir du temps pour que cette équipe se reconstruise et retrouve son identité. Est-ce qu'elle va revenir challenger les meilleures nations du Tournoi ? C'est toute la question.

Après, sur le licenciement de Gatland en plein Tournoi… Est-ce que c'était une bonne idée de le remplacer comme ça, à l'arrache ? Ou est-ce que, perdu pour perdu, il valait mieux attendre la fin ? C'est une vraie interrogation.

À mon sens, la vraie question, c'est : est-ce qu'il n'aurait pas fallu le faire avant ? Parce qu'au final, si tu veux attaquer le Tournoi avec un nouveau staff, autant le faire dès le départ, avec une énergie nouvelle et un groupe qui repart sur une dynamique positive. Là, commencer la compétition en traînant le poids de toutes ces défaites passées, ça n'aide personne.

Après, c'est toujours difficile de juger de l'extérieur. Mais j’ai quand même l’impression qu’il aurait peut-être été plus judicieux de tourner la page avant le début du Tournoi.

Cela dit, ça n'enlève rien à ce que Gatland a apporté au Pays de Galles. La fin est triste, oui, mais l’histoire entre lui et cette nation reste magnifique.

Et si Shaun Edwards, l’entraîneur de la défense du XV de France, prenait la suite de Gatland ?

C'est vrai qu'on a tendance à résumer Shaun Edwards à la défense, mais c'est avant tout quelqu’un qui a une vraie expertise du rugby, une connaissance profonde du jeu.

Tous les joueurs que j’ai pu côtoyer et qui l’ont connu, que ce soit en club ou en sélection, n’en disent que du bien. C’est un fort caractère, avec des principes et des convictions solides. Et quand on prend une équipe, je pense qu’il est essentiel d’imposer immédiatement des standards élevés en termes d’exigence. Sur ce point, Edwards coche clairement toutes les cases.

En plus, c’est un candidat assumé. Moi, j’aime bien les personnes qui n’ont pas peur de dire haut et fort : « Ce poste m’intéresse, je pense avoir les qualités pour. » Je préfère ça aux faux détachés qui, en coulisses, font tout pour décrocher le poste tout en jouant les indifférents en public. Au moins, avec Edwards, c'est clair.

Je m’attendais à mieux de l’Ecosse…

Honnêtement, je m’attendais à mieux de l’Écosse. Je les avais même mis gagnants, en partie à cause de leur calendrier, qui me semblait plutôt favorable. Mais au final, ils n’ont pas été au niveau que j’espérais.

Je pense que la perte de Tuipulotu leur a fait énormément de mal. C’est bien plus qu’un capitaine de l’équipe, c’est un joueur capable de changer le cours d’un match à lui tout seul. Son absence s’est vraiment fait sentir.

Après, c’est vrai que l’Irlande est une très belle équipe, mais je m’attendais à ce que les Écossais leur opposent plus de résistance. Leur première victoire contre l’Italie aurait pu poser les bases d’un tournoi plus abouti, mais là…

Et maintenant, le match contre la France s’annonce compliqué. Ce sera leur dernier match du Tournoi, et je suis sûr qu’ils auront encore en tête la fin de match cruelle du dernier Tournoi, avec cet essai refusé dans les dernières secondes. Ce genre d’action, ça marque un groupe. On verra s’ils l’utilisent comme une source de motivation ou si ça pèse sur leurs épaules.

L’Italie : cette génération refuse la fatalité

Quand on regarde l’Italie aujourd’hui, on voit une équipe qui commence vraiment à accrocher les autres nations. Avant, on avait tendance à dire : « L’Italie va bien démarrer, mais si on leur met un essai rapidement, ça leur plombe le moral et ils s’écroulent. » Ce n’est plus du tout le cas.

Je pense qu’il y a eu un vrai changement de mentalité. Cette génération refuse d’accepter la fatalité. Ils ont pris confiance en eux, et le dernier Tournoi des Six Nations leur a beaucoup apporté. Ils ont réalisé leur meilleure édition depuis longtemps et étaient à deux doigts de battre la France. Ça, ça change tout dans la tête des joueurs.

Gonzalo Quesada joue aussi un rôle clé. Pour l’avoir côtoyé quand il était dans le staff du XV de France, c’est quelqu’un qui sait trouver les bons mots, qui donne sa chance aux joueurs et qui sait les mettre en confiance. Je ne suis donc pas surpris de voir cette équipe progresser à ce point.

Aujourd’hui, toutes les nations prennent l’Italie au sérieux. Même lors des tests d’automne, ils ont tenu tête à la Nouvelle-Zélande pendant un bon moment. Ce n’est plus une équipe qu’on bat simplement en appliquant son plan de jeu, il faut vraiment aller la chercher.

Et puis, il y a aussi l’émergence de joueurs de classe internationale. Sebastian Negri, par exemple, son activité en défense et dans le combat est impressionnante, il tourne à 15 ou 16 plaquages par match, c’est énorme. Ange Capuozzo continue d’apporter sa créativité. Michele Lamaro est un vrai leader. Lorenzo Cannone, son frère Niccolò, ou encore Tommaso Menoncello, ce sont des joueurs qui arrivent à maturité. Ils ont entre 25 et 30 ans, de l’expérience, et ils savent que c’est le moment pour eux de réellement franchir un cap.

L’Italie n’est plus là pour faire de la figuration. Et ça, c’est une super nouvelle pour le Tournoi.

Il faut avoir confiance en cette équipe de France

Du côté français, on est un peu partagé. D’un côté, on sent que les joueurs ont énormément donné, mais de l’autre, on se demande comment c’est possible de faire autant de fautes basiques. C’est paradoxal.

Quand on regarde cette génération, on se dit qu’à quasiment tous les postes, la France a des joueurs qui sont dans le top 5, voire le top 3 mondial. On n’a peut-être jamais eu une profondeur de banc aussi impressionnante. Forcément, ça crée des attentes énormes. Mais ces dernières années, il y a aussi eu pas mal de frustration : l’élimination en quart de finale de la Coupe du monde, un Tournoi 2024 compliqué… On parle beaucoup du jeu de l’équipe de France, du manque d’initiatives en attaque, du recours excessif au jeu au pied. Ça nourrit les débats et, parfois, l’agacement.

En plus, on sent que Fabien Galthié a un plan, qu’il sait où il veut aller. Mais la défaite en quart de finale de Coupe du monde l’a fragilisé aux yeux du grand public. La claque reçue contre l’Irlande l’année dernière après le Mondial a aussi marqué les esprits. Ensuite, il y a eu une victoire contre le Pays de Galles, mais face à une équipe en reconstruction. Forcément, ça amène des interrogations. Mais c’est aussi très français, dès qu’il y a un accroc, de tout remettre en question.

Alors, faut-il tout jeter ? Non, bien sûr que non. Par le passé, on a souvent voulu tout changer trop vite, et ça nous a plus desservis qu’autre chose. Il faut avoir confiance en cette équipe. Son pourcentage de victoires reste impressionnant, seuls les Irlandais font mieux sur les dernières années. Au final, on est toujours jugé sur les résultats. Si la France relance la machine et concrétise ses occasions, comme celles manquées contre l’Angleterre, il n’y aura plus de débat.

Donc non, pas besoin d’allumer un incendie. Il faut de la patience. Et souvent, la patience finit par payer.

Pourquoi si peu de soutien pour l’Angleterre ?

Côté anglais, j’ai été assez surpris. J’étais à Twickenham la semaine dernière, et franchement, derrière cette équipe anglaise, je ne sentais pas une énorme confiance. Ce qui m’a marqué, c’est qu’aucune des personnes avec qui j’ai pu discuter ne voyait l’Angleterre gagnante. Personne.

J’étais assis à côté de Ben Youngs, et je lui disais : « Franchement, je vois la France s’imposer. » Pour moi, l’Angleterre restait encore dans une phase de transition. Mais je lui ai aussi dit que ce qui pouvait leur donner un avantage, c’est qu’ils craignent désormais les Français plus qu’avant. Et quand tu crains un adversaire, ça te transcende. Moi, par exemple, quand je jouais contre l’Angleterre au Stade de France, ça me transcendait parce que c’était une équipe que je redoutais.

Ce qui était frappant aussi, c’était l’état d’esprit des supporters anglais. Il y avait de la frustration, presque de la résignation. Certains se disaient : « Bon, on va tenir 40 minutes ou 60 comme la semaine dernière… » Il y avait un fatalisme qu’on ne voyait pas avant chez eux.

Mais au final, cette victoire contre la France pourrait marquer un tournant pour l’Angleterre. Le soulagement des joueurs après le match était incroyable. J’ai rarement vu les Anglais célébrer une victoire comme ça, eux qui ont d’habitude une culture où gagner, c’est juste normal. Même les supporters étaient soulagés, pas euphoriques, mais soulagés.

Je pense que ce match peut être un déclic pour eux. À voir s’ils confirment sur les prochaines rencontres, mais il y a peut-être un renouveau qui se dessine.

Mathieu Bastareaud a effectué 40 offloads et récupéré 29 ballons durant sa carrière dans le Tournoi des Six Nations, un total inégalé sur la même période dans ces deux catégories. Il détient également le record du plus grand nombre de défenseurs battus par un trois-quarts centre, avec 63 unités.