Pour apprécier la première sélection de Théo Attissogbe sur le Tournoi des Six Nations, il faut remonter quelques mois en arrière, au samedi 9 novembre 2024. Non retenu pour le match contre le Japon en ouverture des Autumn Nations Series, il rejoint son club le mercredi précédent. Pourtant, le sélectionneur Fabien Galthié le rappelle en urgence pour pallier une éventuelle défection de son ailier star Damian Penaud. L’intuition est bonne. Penaud forfait en dernière minute, Galthié sort sa carte Attissogbe. « Je l’ai appris à 17h40, on jouait à 21h », raconte l'ailier qui allait fêter ses 20 ans dix jours plus tard. « J’étais en chambre avec Thomas Ramos. Il a vu mon visage se changer… »
Pas le temps de cogiter. Malgré ses deux sélections Théo se lance… et se blesse au genou. Six semaines d’arrêt. il sera prêt pour le Tournoi 205… encore une fois pour remplacer Damian Penaud, blessé à un orteil.
Cette fois, Théo est sans doute mieux préparé dans sa tête et brille avec un doublé contre le Pays de Galles. « Sur le premier essai (17e, ndlr), je colle la ligne de touche, comme on me le demande. Je suis au bord du terrain. Je vois qu’Antoine lève la tête et je me prépare. Il dépose un caviar. Pendant que le ballon est en l’air, au début je réfléchis si je dois laisser le rebond. Et au final je me dis que la passe était parfaite. Je l’ai rattrapé de volée. J’étais soulagé quand je l’ai rattrapé. Elle était parfaite. J’ai eu peur de faire un en-avant », sourit-il en commentant sa prestation.
« L’arbitre siffle alors que je n’ai pas aplati… »
Son deuxième essai intervient quelques minutes plus tard, à la demi-heure de jeu, là encore suite à une passe décisive de son capitaine. « Je me dis qu’il allait au bout et finalement il me la lève », dit-il avant de révéler un détail incroyable : « L’arbitre siffle alors que je n’ai pas aplati. Il a sifflé et je voulais me rapprocher au max pour Thomas… pour les stats (Ramos vient alors de dépasser Christophe Lamaison et se retrouve deuxième meilleur buteur français, ndlr)… Du coup ça m’a fait rire parce qu’il a sifflé avant. J’avais pas grand-chose à faire », sourit l’ailier qui laissera sa place au maître Penaud pour la rencontre suivante face à l’Angleterre.
Son plus gros avantage : avoir été au bon endroit au bon moment. Ce qui, de son propre aveu, n'a pas toujours été le cas, d'ailleurs.
Cette première sélection dans le Six Nations restera un souvenir très fort, du début à la fin. « Au début j’ai essayé de rester dans ma bulle, mais c’était pas facile avec les jeux de lumière et tout », se souvient-il. A la fin de la rencontre, pendant le tour d’honneur, il laisse ses chaussettes à des supporters palois qui lui réclament. En fait, une seule chaussette. Car Théo Attissogbe a une manie : il coupe ses chaussettes, à ras. « Je mets des chaussettes anti-dérapantes pour éviter les plis et surplis », confie-t-il. Alors quand quelqu’un lui demande ses chaussettes, l’heureux élu n’en a plus qu’un petit bout…
L’insolente performance depuis deux ans
Théo Attissogbe - attention à bien écrire son nom, il a trop souffert qu’on l’appelle « Tissogbe » - est sur une trajectoire éclatante depuis deux ans, en fait depuis son premier match pro en Challenge Club contre les Dragons (13 janvier 2023) sous les couleurs de la Section Paloise alors qu’il n’a que 18 ans. « J’ai eu le stress toute la semaine et le matin du match j’avais un partiel », raconte celui qui suit en parallèle des études de commerce.
Il a rejoint l’équipe de Sébastien Piqueronies un an plus tôt, tout juste sorti du centre de formation du Stade Montois. Il y était entré un peu à tâtons après avoir tâter du judo, de l’athlétisme, de l’aviron et même de la pelote basque. Mais c’est finalement le rugby qui va absorber celui qui a des origines togolaises par son père. « Je jouais avec la sélection départementale des Landes, j’ai fait une détection et j’ai passé trois ans su Stade Montois. J’ai fait trois années de lycée là-bas ; c’était trois superbes années. Depuis, je suis très attaché à cette ville de Mont-de-Marsan », raconte-t-il.
D’ailleurs ses choix professionnels tourneront dans ce même secteur géographique du Sud-Ouest, lui qui est né à Périgueux (Dordogne) et a grandi à Peyrehorade, à une heure de route de son club comme de son centre de formation.
2024 : l’année de la révélation
Formé comme demi d’ouverture, il va progressivement glisser à l’arrière (28% de ses matchs) puis sur les ailes (45% à droite, 28% à gauche).
Quelques semaines après son premier match, il est convoqué avec les U20 de Sébastien Calvet pour son premier match en Italie. « Une grosse pression là aussi. On avait gagné sur le fil ; ils n’avaient pas pu passer la transformation (essai de Matthias Douglas à la 83e, score : 27-28, ndlr). On avait un peu serré les fesses. ». Cette saison-là, sa première à ce niveau, il l’avait clôturée avec un titre de champion du monde des U20, le troisième de suite et la consécration de toute une génération (victoire 50-14 contre l’Irlande).
La saison suivante, c’est la révélation : 24 matchs de Top 14 – à chaque fois comme titulaire ; il fait tout de suite partie des cadres – et un passage direct des U20 à l’arène des tests. Sa première sélection intervient quand il a encore 19 ans en juillet 2024 contre l’Argentine, lors de la tournée en Amérique du Sud avec une équipe de France largement renouvelée. Première sélection en bleu, premier essai en bleu et première victoire en bleu. « C’était un beau samedi de rugby avec une belle équipe d’Argentine qui allait jouer le Rugby Championship juste après », sourit-il.
Nulle surprise lorsque, quelques mois plus tard, il est consacré Révélation de l’Année par ses pairs du rugby français. Sur scène, c’est Yannick Nyanga qui lui remet le trophée, le troisième-ligne international qu’il badait quand il était plus petit. Une photo des deux existe, prise dans le vestiaire de Toulouse en 2012. Nyanga vient de remporter le Brennus et Attissogbe, âgé de 12 ans, se trouve là. « A un moment j’essaie de soulever le Bouclier de Brennus, sauf que je n’ai pas assez de force et Yannick Nyanga est venu m’aider à le soulever », raconte-t-il.
En 2024, au moment où Théo Attissogbe reçoit sa récompense lors de la Nuit du Rugby, il a une pensée pour son ami Emilien Gailleton qui était exactement dans la même situation tout juste un an auparavant. Encore un joueur de la Section Paloise. La différence, c’est que Gailleton n’avait pas pu se rendre à la cérémonie pour cause de grève. Un duplex avait alors été organisé… dans l’appartement de Théo Attissogbe pour profiter du wifi, sans que personne ne le sache !
Nul ne sait encore sur quelle rencontre Théo Attissogbe sera aligné d’ici à la fin du Tournoi 2025. Mais une chose est certaine, c’est que Damian Penaud a trouvé en sa doublure un renfort sur lequel il pourra compter quoiqu’il advienne.