On la sent un peu surprise d’être là, de recevoir ce trophée de Meilleure Joueuse du Match de la France contre le Pays de Galles, mais le sourire qui la caractérise tant est si chaleureux que Hawa Tounkara ne montre pas son embarras.
Comme si elle n’était pas habituée à recevoir des honneurs. Comme si ça la surprenait que ses performances soient appréciées, reconnues et surtout récompensées. Car ce qui compte c’est le collectif, pas l’individuel. Pourtant, la jeune joueuse de Bobigny, qui vit sur ce Summer Series Féminin sa dernière aventure avec les U20, peut être fière d’où elle vient et du travail accompli.
Elle habite le Val d’Oise et a découvert le rugby à l’âge de 13 ans. « C’est avec le collège où il y avait un prof de sport qui faisait du rugby. Il a voulu former une section féminine et c’est là que c’est venu », raconte-t-elle.
Pourtant, l’image qu’elle a du rugby avait tout pour la repousser. « Je trouvais que c’était très violent. Je ne me voyais pas faire du rugby. J’ai fait du basket, puis du foot pendant deux ou trois ans. En quatrième et troisième, j’alternais foot et rugby et ensuite je suis restée au rugby. »
En quelques années, si la nature du rugby n’a pas tellement changé, elle en revanche a appris à l’aimer de plus en plus. Plus à l’aise dans l’évitement grâce à sa vitesse, elle s’est progressivement résolue à aller à l’impact.
« Ça commence à venir parce que c’est obligé. Avant quand j’étais plus jeune et qu’au rugby il fallait plaquer, je n’aimais pas du tout. Je n’aimais pas défendre, je n’aimais que l’attaque. Et au fil du temps c’est venu, j’aime bien. J’aime surtout la vitesse. J’aime bien quand ça va vite, quand les espaces se libèrent parce que c’est un de mes points forts. »
Deux faits contre le Pays de Galles le 4 juillet illustrent bien cette puissance et cette volonté d’avancer. A la 8e minute, alors qu’elle réceptionne un ballon de sa paire Enoé Neri, Hawa poursuit dans l’axe, transperce le rideau défensif gallois avec deux joueuses qui s’accrochent encore, ne ralentit pas, est rattrapée à un mètre de la ligne et passe après contact à l’ouvreuse Mae Levy qui marque. Son propre essai à la 45e minute aura été tout en vitesse.
Ce n’est pas une surprise d’apprendre qu’elle joue ailière ou arrière. Mais c’est plus surprenant de constater que le staff a voulu la placer au centre, que ce soit contre le Pays de Galles ou contre l’Ecosse le 9.
« Hawa est une joueuse extraordinaire, polyvalente, talentueuse. Elle a accepté avec plaisir ce poste de centre, un poste qu’elle ne connaît pas. De par la qualité des joueuses, on a souhaité mettre toutes nos meilleures joueuses sur le terrain. Elle en fait partie. Elle a brillé et elle n’a pas fini de briller », dit son entraîneure Caroline Suné.
« Je joue à l’aile ou à l’arrière et là ils m’ont testée en centre et c’est plutôt pas mal. J’aime bien, j’aime beaucoup », confirme Hawa Tounkara (1,76m, 73 kg) qui est testée à ce poste pour sa capacité à jouer ses duels et à avancer.
« Quand je regarde mes duels, je n’en perds pas beaucoup. Je pense que c’est surtout pour ça. Je me dis qu’il faut toujours que je passe dans le dos, mais aussi garder la fréquence quand je suis au contact, avancer et gagner la ligne davantage. »
Mais ce qui caractérise aussi à Hawa Tounkara, c’est son attitude, la positivité qui se dégage de son visage souriant. Une vraie marque de fabrique qui fait penser au sourire assassin de la Black Fern Stacey Waaka, la « smiling assasin ».
« Hawa, c’est le rayon de soleil. Elle est toujours souriante », affirme Caroline Suné. « On me le dit souvent. Je suis contente », rigole la jeune joueuse licenciée au SCUF de Bobigny. « J’ai toujours été comme ça. J’aime bien sourire. Depuis que je suis petite je suis comme ça. Ou peut-être que c’est venu grâce au rugby.
« Même quand je ne suis pas très contente, je souris quand même. Dans l’équipe, quand t’as une personne qui sourit tout le temps, ça fait du bien. Quand j’étais plus petite, j’étais réservée, dans mon coin, je ne parlais pas trop. Je ne souriais pas trop. Mais avec le rugby petit à petit c’est venu. »
Pourtant, Hawa aurait des raisons de ne pas sourire tout le temps, elle qui doit jongler avec plusieurs vies pour tenter d’avancer. « Elle faisait par exemple deux travails pour pouvoir survivre et ça se ressentait sur ses performances. A 1h du matin, elle servait encore des clients dans un bar pour subvenir à ses besoins. On ne se rend pas compte des sacrifices. Pour ces filles, c’est totalement amateur », s’étonne encore la manager de France U20 féminine.
Hawa en est consciente, tiraillée entre son quotidien et ses performances. Mais elle refuse ostensiblement de se plaindre. « Là j’ai arrêté parce que ça me prenait beaucoup de temps. Je travaillais dans un bar et j’entraînais des filles. Comme on n’est pas professionnelles, j’entraîne les catégories jeunes, j’allais dans les écoles et les jours où j’étais off je travaillais dans un bar.
« Mais là j’ai été obligée d’arrêter pour privilégier mes performances. Ça me prenait beaucoup de temps, je me blessais souvent. J’ai arrêté depuis quelques mois et là ça va beaucoup mieux. Je me blesse moins, j’ai plus de temps pour récupérer.
« Au niveau financier c’est un peu compliqué, mais comme je suis à l’académie, tous les semestres je suis payée. Avec mon club j’ai un peu d’argent tous les mois, avec mon club aussi. J’essaie de faire avec. Comme j’habite encore chez ma mère, je l’aide, ça va. »
Hawa garde cet objectif en tête de rentrer dans l’histoire en faisant partie de la première équipe qui remportera la première édition des Summer Series féminines lorsque les trois matchs seront achevés.
Si son prochain objectif reste de jouer au rugby, elle se voit bien basculer sur le sept, pourquoi pas participer aux Jeux olympiques une fois, mais avant cela disputer et gagner un tournoi des World Series. Elle se souvient de ses premiers stages avec France 7 en 2022 lorsque l’équipe de france préparait la Coupe du Monde de Rugby à Sept en Afrique du Sud.
« C’était mes premiers stages à 7 à Font-Romeu. J’ai souffert mais c’était bien. J’ai kiffé… », sourit-elle. « En vrai, je préfère plus le 7 que le XV, je ne sais pas pourquoi. Je pense à la vitesse mais il y a plus d’espace aussi. Je me sens mieux à 7 qu’à XV. » D’autant que le 7 privilégie l’évitement plutôt que le contact physique. En somme un résumé de son histoire, avec le sourire en plus.