Sur la pelouse du Stade Dominique Duvauchelle de Créteil samedi 12 octobre 2024, un petit bout de femme (1,65m, 68kg) avec un bonnet noir sur la tête ne manque pas une miette de la rencontre entre le Racing 92 et le RC Toulon. Ce jour-là, Sandrine Agricole n’est plus la kiné du club varois. Ce jour-là, elle en est… l’entraîneure principale. Une première historique dans le Top 14.
C’est elle que Pierre Mignoni a choisi pour guider les Toulonnais sur le terrain les jours de match. Exilé volontaire en tribunes pour avoir failli perdre son sang-froid la semaine précédente, le manager compte sur elle pour le remplacer en bord de touche.
De kiné à entraîneure, la marche est grande ? En fait, c’est un point de règlement qui a propulsé l’ancienne internationale à se retrouver là. Elle est en effet la seule du staff à avoir son brevet d’État d’entraîneur deuxième degré, le BE2, obligatoire pour avoir le droit d’être là.
Le déclic à Amsterdam
Un sacré clin d’œil du destin pour celle qui avait mis un terme à sa carrière de joueuse il y a dix ans tout juste. Demie d’ouverture ou centre du Stade rennais et en équipe de France, c’est dans la région parisienne qu’elle a découvert le rugby alors qu’elle n’avait que 12 ans.
Elle est au collège et son prof de sports, « Monsieur Gilles » l’initie au ballon ovale. « Un coup de foudre », dira-t-elle plus tard. Elle s’inscrit avec sa petite sœur à son premier club. Elles ne sont que les deux seules filles.
Très vite Sandrine se forme, doit attendre ses 16 ans pour évoluer dans un contexte 100% féminin, et découvre le haut niveau depuis les tribunes alors qu’elle assiste à la troisième édition de la Coupe du Monde de Rugby féminin en 1998 à Amsterdam ; elle a 18 ans.
« Ce n’était pas un lieu exotique mais j’ai pu découvrir qu’il y avait une équipe de France féminine et je me souviendrai toujours pendant les hymnes je regardais l’équipe de France et j’ai dit à une de mes partenaires ‘Un jour je serai en face’ », nous racontait-elle en 2021.
Cette année-là, la France ne brille pas et termine le tournoi à la 8e place. Mais Sandrine en est convaincue qu’elle a un rôle à jouer dans le futur de l’équipe. « C’est de là qu’est venue cette volonté de poursuivre cette aventure rugby au haut niveau et de faire tous les sacrifices qu’il fallait pour atteindre cet objectif-là. »
Trois grands chelems et une médaille de bronze
Cette fille de Martiniquais (le Vauclin pour sa mère et le Vert-Pré pour son père) décroche sa première sélection cinq ans plus tard, le 15 février 2003, en sortie de banc (32e). Entrée en matière difficile avec ce Crunch à Twickenham devant 2000 personnes où la France ne montre rien et s’incline 57-0.
Pas de quoi refroidir la joueuse qui comptera pas moins de 84 sélections avec la France, devenant l’une des joueuses les plus capées de l’hexagone. Au RC Toulon où elle est arrivée en 2020, elle est d’ailleurs la deuxième internationale la plus capée du staff derrière Sergio Parisse (142 sélections), Mathieu Bastareaud (54) et Baptiste Serin (46).
Elle accrochera à son palmarès trois grands chelems lors des Tournois des Six Nations 2004, 2005 et 2014. « On était sur une dimension où le rugby pratiqué par les femmes commençait à prendre une place. Je ne dis pas que les portes étaient grandes ouvertes, les médias ne nous suivaient pas à l’époque mais ils commençaient à nous entendre, grâce aux résultats notamment », nous confiait-elle.
Sandrine Agricole participera aussi à une Coupe du Monde de Rugby à Sept (en 2009 à Dubaï) puis deux éditions de la Coupe du Monde de Rugby Féminin en 2010 (4e à Londres) en 2014 à Marcoussis, la dernière fois que la Coupe du Monde a été organisée en France, où la France termine avec le bronze.
Elle arrête de jouer à 34 ans pour devenir kiné
« Les gens se sont rendu compte que le rugby pratiqué par les femmes n’était pas un rugby bourrin, ce n’était pas une représentation d’une femme camionneuse mais c’était des jeunes femmes qui faisaient des études, des jeunes femmes qui parfois étaient mères de famille, mariées, et ils ont vu aussi qu’il y avait tout un sacrifice, tout un travail autour de cette construction de performance qui nous a emmené à faire un bon résultat en Coupe du Monde en 2014 », se souvient-elle.
Les gens se sont rendu compte que le rugby pratiqué par les femmes n’était pas un rugby bourrin
Sandrine a alors 34 ans et décide d’arrêter de jouer. Elle devient kiné, spécialité sport, dans un cabinet libéral. En parallèle elle entraîne les lignes arrières féminines au Stade Rennais, un club né cinq ans plus tôt. Elle ne coupe pas avec le rugby et a besoin de cette ambiance qui lui manque, même si c’est en salle de soins.
Elle accepte une opportunité avec l’équipe de France des moins de 18 ans à sept qu’elle accompagne jusqu’aux Jeux olympiques de la Jeunesse en Argentine en 2018 avant d’accepter l’offre d’Annick Hayraud de rejoindre l’équipe de France féminine en 2019.
En parallèle, elle est consultante à France Télévision, et officie comme kiné au Stade rennais et au RC Vannes (alors en Pro D2), avant de se laisser convaincre d’aller à Toulon en 2020.
Le Covid éclate mais elle reste. Une saison, puis deux, puis trois, puis quatre. Elle en profite pour reprendre le jeu pour quelques matchs avec le Rugby Club Toulon Provence Méditerranée en Élite féminine 2. Aujourd’hui, elle est plus impliquée que jamais avec le RCT.