Actualités

Le parcours incroyable de Yoram Moefana pour arriver chez les Bleus

YoramMoefanaFortunaSB2000
Chaque joueur de rugby a un parcours unique dans le sport, mais peu ont voyagé aussi loin et aussi jeune que le centre du XV de France Yoram Moefana.

Chaque joueur de rugby a un parcours unique dans le sport, mais peu ont voyagé aussi loin et aussi jeune que le centre du XV de France Yoram Moefana.

Moefana avait seulement 13 ans quand il a quitté Wallis et Futuna dans l’océan Pacifique pour la France métropolitaine, à 16,000 kilomètres.

En France il a rejoint son oncle, Tapu, à Limoges et à l’âge de 20 ans, il était déjà un joueur international avec le XV de France.

Aujourd’hui, à 22 ans, il est devenu une présence permanente sur la feuille de match des Bleus et compte un Grand Chelem dans son palmarès.

En 2022, seul Damian Penaud a joué plus de minutes avec le XV de France que Moefana, lors d’une année où les Français ont remporté tous leurs matchs pour la première fois de leur histoire, et Moefana n’a toujours pas manqué une minute du Tournoi 2023.

Ce qui est encore plus remarquable c’est que dimanche à Paris contre l’Écosse, Moefana a joué plus d’une heure aux côtés de son oncle, Sipili Falatea, le pilier droit des Bleus, un duo qui s’ajoute aux joueurs venus de Wallis et Futuna et qui ont joué pour le XV de France.

Ce territoire, situé entre les Tonga, les Fidji et les Samoa, comptait une population de 11,558 habitants au dernier recensement, un chiffre comparable à celui d’Arcachon.

Si Wallis et Futuna ne peut pas se vanter de posséder une Dune du Pilat, le territoire a déjà produit plusieurs internationaux français nés dans les Îles, dont le pilier Vincent Pelo et maintenant, Moefana et Falatea.

D’autres internationaux comme Peato Mauvaka, Romain Taofifenua, Sébastien Vahaamahina et les frères Tolofua, ont eux-aussi des origines wallisiennes.

Si vous regardez les équipes jeunes du XV de France, le constat est clair, le vivier de talents ne cesse de grandir – ce qui est remarquable pour une population qui compte entre 250 et 300 licenciés.

Pour Taofifenua Falatea, le père de Moefana et le grand frère de Sipili, la réussite de ses joueurs inspire énormément de fierté, mais pas que.

Il a expliqué : « On est plus que très fiers. Pour le rugby calédonien et dans les Pacifiques, ce qui m’intéresse c’est ce qui viendra après eux.

« Je suis celui qui a été envoyé en France par Nisié Feleu, je suis le premier à être parti de Futuna. Le premier de cette filière. C’était une aventure. Je suis parti en 2000.

« Yoram habitait à Futuna et moi j’habitais en Nouvelle Calédonie. Il m’a appelé et il m’a dit ‘Papa, je crois que je vais partir en France avec tonton parce que j’ai envie de pratiquer un rugby à un niveau plus élevé que celui qui est pratiqué à Futuna’. On a été surpris, mais quelque part émerveillés, de voir un jeune qui était sûr de ce qu’il voulait faire. On l’a accompagné du mieux qu’on pouvait. »

Taofifenua Falatea fait référence à Nisié Feleu, qui est dans un sens à l’origine du rugby à Wallis et Futuna. Un ancien décathlonien, il a passé du temps en France où il a rencontré Didier Retière, l’ancien entraîneur des avants du XV de France, ainsi que l’ex-DTN de la FFR.

Une fois de retour à Wallis et Futuna, Feleu a d’abord essayé de lancer l’athlétisme, avant de monter un projet avec le ballon ovale.

Il se rappelle : « Quand j’étais à l’université, j’ai fréquenté Didier Retière. Puis quand je suis rentré, j’ai fréquenté des prêtres des iles Samoa. Eux, ils s’étonnaient qu’on n’ait pas de rugby à Wallis et Futuna à l’époque. C’était les années 90. J’ai essayé de monter des clubs d’athlétisme mais ça n’a pas marché.

« Alors je me suis dit, on essaie le rugby, vu qu’on est au milieu du Pacifique, entouré de gens qui jouent au rugby. Ça a pris. Pour les premiers déplacements, on est allés aux Samoa. Au fur à mesure, les parents ont adhéré et tout le monde a suivi. La plupart des gens qui m’envoient leurs enfants pour jouer au rugby au collège, ils ont tous démarré leur rugby avec moi, avec de bons résultats. »

Feleu a créé le club Afili Futuna, et c’est là que Moefana a joué avec un ballon de rugby pour la première fois, aux côtés de ses oncles Sipili et Kito, qui joue aussi en Nationale avec Bourges.

Feleu a dit : « Je l’ai vu venir avec Sipili, qui joue avec lui, et un autre petit frère, Kito. Taofi (le surnom de Moefana) avait six ans, et les deux autres avaient entre sept et neuf ans.

« Il voulait tout le temps le ballon. S’il n’arrivait pas à marquer Il fallait attendre qu’il refasse le tour derrière tous les coéquipiers, pour essayer de l’autre côté. Tout le monde criait ‘On veut le ballon, on veut le ballon’, mais il était un peu spécial comme ça. Au niveau qualité physique, il aimait courir, il était rapide. C’est un gamin qui voulait jouer tout le temps, il ne voulait jamais s’arrêter.

« C’est un garçon qui a toujours aimé prendre les espaces, mais qui ne refuse pas le contact. Il fait partie des gamins à qui tu n’as beaucoup à apprendre sauf qu’il faut passer le ballon de temps en temps.

« On a la Nouvelle-Zélande juste à côté et l’avantage, c’est qu’on vit comme en métropole. Quand Yoram avait 11 ans, on a assisté à la Coupe du Monde de 2011.

« C’est au retour que ses parents et lui ont émis le vœu qu’il aille continuer sa formation en métropole. C’était un avantage parce qu’il avait de la famille là-bas pour l’encadrer. On voit la réussite quand ça marche bien mais on ne voit pas tous les sacrifices qu’ont faits ses parents, et surtout sa maman, pour accepter que son fils parte comme ça.

« Pour ceux qui habitaient en Métropole, ça pouvait paraître inquiétant. Mais pour nous, la famille c’est le plus important. Que tu vives avec ton oncle, ta tante, ta grand-mère ou quiconque d’autre, ce n’est pas inquiétant, les parents font complètement confiance. La vision de famille est beaucoup plus importante chez nous qu’en Métropole. »

C’est ainsi que Moefana, à seulement 13 ans, est parti pour Limoges où il a vécu avec son oncle Tapu, qui joue actuellement avec Nevers en Pro D2.

Les frères de Taofifenua Falatea, dont Sipili, le pilier droit, sont tous des avants. Moefana a suivi l’exemple de son père en devenant centre.

Il y a eu des difficultés quand il est arrivé à Limoges, d’abord s’habituer à vivre à 16000 kilomètres de son pays et en même essayer d’arriver au plus haut niveau.

Son père explique : « C’était difficile les premiers mois mais il y avait mes frères et mes sœurs qui le soutenaient. Il y avait aussi les frères de sa maman. De ce côté-là, il a été très protégé. Même sa maman et moi nous lui manquions, on n’a pas senti ce besoin de revenir vite.

« Il était déterminé tout simplement. S’il est là où il en est aujourd’hui, c’est parce qu’il a rencontré ces difficultés. La première année, il a fait les tests pour rentrer au pôle de Jolimont mais il n’a pas été pris. Il a pleuré pendant deux jours. Mais il s’est battu pour revenir plus fort.

« En 2019, il a fait la saison avec les moins de 20 mais il n’a pas été pris pour le tournoi lui-même quand ils sont devenus champions du monde.

« En France il a pris beaucoup de plaisir à jouer. Il faut aussi rappeler qu’il est passé par de grandes écoles de rugby, Limoges dans un premier temps, après ça Colomiers – on sait qui est passé par Colomiers, et je pense que c’est important de mettre en avant ces clubs où il est passé. Il a commencé à Afili, mais il a été perfectionné en France. »

Quand Falatea fait référence à l’école de rugby de Colomiers, il parle surtout de l’ancien capitaine du XV de France et de l’actuel sélectionneur, Fabien Galthié, qui a passé la plupart de sa carrière avec l’USC.

Si le club a beaucoup changé depuis l’ère Galthié, c’était le lieu idéal pour débuter pour Moefana après un an à Limoges.

Il a fait ses débuts professionnels avec Colomiers, en Pro D2, avant de partir à l’Union Bordeaux-Bègles en Top 14.

Arrivé à Bordeaux à l’âge de 19 ans, Moefana a fait ses débuts avec les Bleus un an plus tard, en devenant le premier international français né dans les années 2000.

Frédéric Charrier, son entraîneur à Bordeaux, se rappelle de la transformation de Moefana après une première année, interrompue par le Covid, où il n’a pas joué avec l’équipe première.

Charrier a dit : « Il est arrivé. Il jouait à Colomiers, c’était un tout jeune joueur. Un jeune qui était intégré au centre de formation mais qui s’entraînait avec les pros. Il était assez réservé. C’est quelqu’un qui ne parle pas beaucoup donc il s’entraînait tout le temps avec nous mais il n’a pas joué de l’année.

« Mais à partir de la deuxième saison, dès qu’il est arrivé, après l’intersaison, il a changé d’état d’esprit et là, il a commencé à faire des entraînements qui étaient vraiment intéressants et à prendre la mesure du niveau du club et il a commencé à matcher. Vraiment, la deuxième année il a pris de l’envergure et puis la troisième année, il est devenu titulaire. »

Lors de cette deuxième saison, Moefana a eu l’occasion de découvrir l’équipe de France. Avec l’Autumn Nations Cup, une compétition organisée à cause des limitations du Covid, un accord entre la FFR et les clubs a limité le nombre d’apparitions sur les feuilles de match à trois par joueur. Du coup, de nouvelles têtes ont eu leur chance, dont Moefana.

Il a connu une première sélection en tant que remplaçant contre l’Italie. Sa première titularisation a suivi une semaine plus tard contre l’Angleterre à Twickenham.

Moefana a plus que rivalisé, notamment en résistant à une grosse charge de Billy Vunipola dans un match où une équipe de France remaniée a tenu tête avec le XV de la Rose, qui sortait d’une finale de Coupe du Monde, avant de s’incliner après prolongations.

Charrier a ajouté : « Je n’étais pas étonné de le voir en Angleterre, ne pas se poser de questions et de se lancer dans le grand bain.

« Yoram est quelqu’un qui a été habitué à partir tôt de chez lui, et c’est son choix. C’est lui qui a voulu partir pour réussir. Même si ça a été dur au début d’être loin de sa famille, c’est son choix mais ça montre sa force de caractère. »

Après cette première expérience avec les Bleus, Moefana a dû patienter. Souvent pris dans les groupes, il n’a pas connu de sélection en 2021.

Un an plus tard, il a passé un cap avec Bordeaux, et lors du Tournoi des Six Nations, a joué un rôle important avec les Bleus.

Si la ligne de trois-quarts titulaire était Jonathan Danty et Gaël Fickou au centre et Damian Penaud et Gabin Villière aux ailes, Moefana était là pour pallier s’il y avait des absents.

Ce qui était le cas. Danty, Villière et Penaud ont raté un match chacun, et Moefana a débuté contre l’Irlande, l’Écosse et le pays de Galles avec trois numéros différents sur le dos.

Il a inscrit son premier essai international contre l’Écosse avant d’en ajouter un deuxième contre le Japon lors de la tournée d’été.

Une blessure l’a privé d’une place lors du match du Grand Chelem contre l’Angleterre, mais il a joué tous les autres matchs des Bleus en 2022, y compris la victoire contre les champions du monde sud-africains.

Avec l’absence de Danty au début du Tournoi 2023, Moefana a pris sa place au centre du terrain.

Charrier a ajouté : « Je pense que c’est son abnégation, son état d’esprit qui font qu’il a vraiment changé de statut.

« Physiquement, Yoram est très développé, très costaud notamment au bas du corps. Par contre, il avait besoin de se renforcer du niveau du haut du corps. C’est un puncheur, c’est un joueur de duel, donc il avait besoin de s’étoffer un peu sur le haut du corps. Je trouve que depuis un an il a pris une autre dimension sur l’aspect physique, sur le haut du corps. Sur la puissance, sur les appuis, c’est quelqu’un de très fort dans les un-contre-un. »

Cette capacité dans les un-contre-un vient sans doute de son passé à Wallis et Futuna et de son amour pour le ballon.

Pour Feleu et Falatea, voir ce jeune de 13 ans devenir un international confirmé est une source de satisfaction et aussi une confirmation que le travail effectué dans les îles marche bien.

Feleu a ajouté : « C’est une fierté en tant que Futunien. En tant que formateur et éducateur, ça prouve qu’on fait ce qu’il faut avec le travail effectué sur place à Wallis et Futuna. »

Moefana est la dernière pépite du vivier futunien. Si d’autres de son calibre vont suivre, l’avenir s’annonce radieux pour le XV de France.